dimanche 29 août 2021

Manipulation ?


Éloge du recul. Pourquoi ? Pour ne pas perdre notre discernement, notre jugement, notre sens critique. Pour ne pas devenir anesthésié. Pour tenter de comprendre les choses, les dessous, les mécanismes. Souvent, très souvent, les vents contraires sont puissants. L’exemple d’Edward Bernays est parlant.


Bernays est reconnu pour être le père des relations publiques. En 1928, il publie Propaganda. Il conseille politiciens et industriels. Une sorte de Machiavel. Il a notamment conseillé le président Wilson au moment où les USA entrent dans la première guerre mondiale. Mais petit hic, la population n’en veut pas de cette guerre. Bernays arrive à la rescousse et met en place une vaste opération pour convaincre et manipuler l’opinion: recours à la communication, au cinéma, à Charlie Chaplin, aux messages fort négatifs dépeignant l’Allemagne, bref l’artillerie lourde. Et ça fonctionne.


Plus tard, son client, un fabricant de cigarettes, voudra augmenter ses ventes. Mais comment faire ? Seulement les hommes fument, beaucoup trop inconvenant pour la femme. Mais les femmes sont en plein combat pour le droit de vote, vers 1917. Bernays saisit l’opportunité. Lors de la traditionnelle parade de Pâques à New York, il embauche des figurantes cigarette à la main. Le lendemain, on en parle partout. Un succès. La cigarette deviendra le symbole de l’émancipation féminine en plus d’être la parfaite représentation du phallus, semble-t-il. Il faut mentionner que Bernays est le neveu de Freud. L’inconscient n’est jamais bien loin…

Bernays explique aussi le rôle du « gouvernement invisible ». Une expression qui aujourd’hui sonne légèrement complotiste, c’est vrai. Mais son idée fait du sens. Bien des choses arrivent jusqu’à nous sans que nous en connaissions la provenance exacte: idées, tendances, modes, produits nouveaux, etc. etc. Tout ça m’est « imposé » par des inconnus qui forment un petit groupe qui décide pour la majorité. On l’a bien vu pendant la pandémie. Nous avons appris qu’une quinzaine de personnes à Québec, dont plusieurs stratèges en communication, décident de chacune des actions sanitaires qui sont imposées. Leur travail est discret, elles sont inconnues de la population. Les dictatures imposent le contrôle par la force. Dans une démocratie, c’est plus subtil, nous dit Bernays. Comme si le rôle de cette « force invisible » était d’ordonner le chaos, de le prévenir en manipulant l’opinion et en imposant une sorte de ligne directrice par le biais de tout ce qui arrive jusqu’à nous. C’est Bernays le premier qui invente le titre de « conseiller en relation publique » étant donné que le mot propagande a maintenant une connotation négative. Quand un mot devient impopulaire, on le remplace par un autre souvent politiquement correct, édulcoré. Vieille tactique. Ce ne sont plus des CHSLD mais des maisons pour aînés. Ce ne sont plus des sourds mais des personnes malentendantes.

Bernays est influencé par le Français Gustave Le Bon qui écrit La psychologie des foules en 1895. Il nous dit notamment que les foules ne sont pas influençables par des raisonnements. Elles pensent par images. L’imagination populaire joue un rôle puissant, surtout pour les gouvernants. Une technique fort utilisée pendant la pandémie alors qu’on manipule beaucoup l’émotion: l’image du malade intubé aux soins intensifs, ces morts dans des camions réfrigérés, les enfants masqués, grand-mère isolée parlant aux enfants derrière sa porte-patio. Les médias, qui inexorablement jouent le jeu en défendant le droit du public à l’information, amplifient la situation, servant cet objectif de « manipuler l’opinion ». On « fabrique le consentement » pour reprendre le titre du livre de Chomsky et Herman (1988). Le Bon parle aussi de la puissance magique des mots et des formules: ça va bien aller, le vaccin c’est la liberté, zone rouge, couvre-feu, barrages policiers, etc. Ces mots et ces expressions ne surgissent pas au hasard. Ils ont un but. L’auteur nous rappelle que la foule préfère les illusions aux vérités. C’est la possible fin du confinement si et si, le possible petit party, la levée des restrictions si nous sommes vaccinés. Finalement, c’est à se demander si le politique a intérêt à ce que la population pense et réfléchisse. Le divertissement est formidable pour nous en éloigner. Il est d’ailleurs ironique que François Legault, rappelez-vous, permette aux tournages de séries et de téléromans de se poursuivent. District 31 était sauvée.

Finalement, parmi les techniques servant la manipulation, il y a des valeurs assez sûres. D’abord, la peur…oui, encore elle. Puissante parce qu’elle est associée à la sécurité. Vous avez peur ? Le gouvernement va vous protéger avec différentes mesures. Cette peur est aussi associée à la mort, une fatalité que nous craignons. Les clivages sont aussi efficaces : gauche-droite, vaccinés-non vaccinés. Les dirigeants ont un intérêt à les entretenir. De cette façon, il y a peu de place pour la nuance et la réflexion. On est dans un camp ou dans l’autre, point. Comme un dogme. Enfin, le désir. Comme il ne faut pas raisonner, on entretient notre désir des choses, des jours meilleurs, d’une vie rêvée. La publicité l’a compris depuis longtemps. Freud parle de désirs enfouis dans notre inconscient mais qui nous font agir, prendre telle ou telle décision. Ça aussi, Bernays l’a bien compris. C’est la lotto-vaccin.

Tout ceci démontre qu’il ne faut pas être dupe. En introduction de son ouvrage, Bernays résume bien sa pensée :« Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé. »

C’est dit.

   

jeudi 19 août 2021

Éloge du recul

 

                                                                               


Le Québec a une tradition intellectuelle qui s'essouffle. On entend peu ceux qui développent une véritable pensée, qui prennent de la distance avant de s’exprimer. L’opinion n’est pas de la pensée. Pourtant, cette pandémie regorge d’exemples pour lesquels on aurait bien besoin de comprendre le pourquoi. Pourquoi tel groupe agit de telle ou telle façon ? Pourquoi certains partent en voyage ? Pourquoi certains ne veulent pas du vaccin ? Pourquoi certains ont fêté en groupe à Noël ? Au lieu de tenter de comprendre, on attaque, souvent avec violence. On leur colle des étiquettes d’idiots, de tatas, d’irresponsables, de nombrilistes et des pires. Ces attaques sont-elles révélatrices de qui nous sommes ? D’un Québec consensuel qui digère mal un comportement contraire à la majorité ? Pourquoi avons-nous de la difficulté à accepter que d’autres agissent différemment de nous ?  

On pourrait se souhaiter, pour 2021, d’être moins sur la défensive et davantage à l’offensive avec des arguments fondés, un peu plus réfléchis. Tenter de comprendre le pourquoi des comportements aide grandement. Ceux qui n’agissent pas comme la majorité ne sont pas tous des débiles. Les dérapages surviennent souvent sur les réseaux sociaux, c’est vrai. Il faut se méfier de soi lorsque nous sommes derrière un clavier. On perd notre jugement comme si le cerveau ne s’était pas encore adapté aux contacts virtuels.

Nous aimerions peut-être que l’humain soit constamment rationnel. Mais ce n’est pas le cas. L’économie comportementale le démontre depuis longtemps. Une décision, ne pas se faire vacciner ou voyager, par exemple, peut se prendre sans connaître les conséquences réelles, par manque d’information, en empruntant des raccourcis, un phénomène connu en psychologie. L’émotion et l’intuition peuvent jouer un rôle dans nos décisions, décisions que nous regretterons peut-être plus tard. Il faut également mentionner que nous avons tous une tolérance au risque qui diffère d’un individu à l’autre. Ce niveau de tolérance pourra influencer notre motivation à poser un geste ou non.

Les attaques que nous constatons depuis plusieurs mois visent des minorités. Le cas des voyageurs dans le sud est le plus révélateur. La conformité est pourtant une force puissante. Nous avons une tendance naturelle à imiter les autres même si nous ne l’admettons pas consciemment.  Les autorités doivent d’ailleurs s’en réjouir les mesures sanitaires étant largement suivies. Mais l’amplification des médias et des réseaux sociaux est telle que nous avons l’impression qu’un phénomène est généralisé alors que ce n’est pas le cas. Remettons en perspective. Dans ce cas-ci, en réalité, peu de Québécois ont quitté le pays pour le sud. Il est certain que notre entourage joue un rôle, cette influence sociale pouvant nous conforter à poser des gestes, à prendre une décision ou une autre. Si en plus nous avons tendance à aimer se distinguer, à être différent, nous prendrons sans doute une décision qui va à l’encontre de ce que fait la majorité.

 Il faut reconnaître que l’époque est à l’émotion. Nous avons l’impression que les mauvaises nouvelles s’accumulent, l’expression de la peur étant partout. Tout le temps. Cette peur peut avoir un effet pervers, celui de pousser certains à poser des gestes qui semblent irrationnels : peur du vaccin, de retourner à l’école, écœurantite et désabusement menant au voyage, à se voir en groupe, etc.

C’est pour tout ce qui précède que nous devrions faire davantage l’éloge du recul. Et le pratiquer.