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Très mauvaise surprise de lire aujourd'hui que des producteurs québécois souhaitent un assouplissement à la loi
afin de permettre la publicité destinée aux enfants. Et ce, disent-ils, pour
sauver les émissions jeunesse. Un projet qui a quelque chose de consternant. La
publicité est une arme qui peut causer bien des ravages auprès des enfants,
surtout les plus jeunes. Nous sommes tous vulnérables face aux messages
publicitaires, imaginez les enfants. Une meilleure connaissance des techniques
de persuasion a permis aux annonceurs d’affiner leurs armes. Mais ne soyons pas
crédules. Oui, les enfants ont accès à de la publicité sur le Web, oui elle est
plus que nécessaire pour la production de contenu en général mais il est aussi
possible d’avoir un comportement éthique en tentant de protéger une clientèle vulnérable.
La loi le permet. Au début des années 80, le chercheur américain Éric Zanot
démontrait que l’attitude des consommateurs envers la publicité était de plus
en plus négative. Le projet des producteurs télé n’aide en rien la cause.
Le Québec a été avant-gardiste en
adoptant sa loi sur la protection du consommateur il y a plus de trente ans.
Chez nous, toute publicité visant les moins de 13 ans est interdite, à
l’exception, notamment, des emballages et des vitrines. Mais comment établir
qu’une publicité vise les enfants ? Trois conditions sont requises : 1- À
qui le bien ou le service est-il destiné ? Est-il attrayant pour les enfants ?
2- Le message publicitaire est-il conçu pour attirer l’attention des enfants ?
3- Les enfants sont-ils visés par le message ou exposé à celui-ci ? Sont-ils
présents au moment et à l’endroit de sa parution ou de sa diffusion ? Précisons
que tous les supports et tous les médias sont soumis à la loi, incluant le Web
et les chaînes télé spécialisées pour enfants.
L’Office de la protection du
consommateur intervient auprès des entreprises qui ne respectent pas la loi
soit en avertissant ou en poursuivant. Dans le passé, des compagnies comme
Saputo, General Mills et, en 2015, Coke ont été mises à l’amende. Le Québec
s’en tire donc relativement bien pour protéger ce groupe vulnérable qui n’est
pas encore en mesure de bien distinguer le discours publicitaire. Et
l’influence de ce discours est démontrée depuis longtemps. La recherche nous en
apprend beaucoup. Par exemple, en 2015, le Journal
of Pediatrics mentionne un lien direct entre exposition des enfants à la
publicité des chaînes de fast-food et
la fréquence des visites dans ces restaurants. Ou encore, en 2014, une autre
étude publiée dans le JAMA Pediatrics
révèle qu’après avoir été exposé à une publicité montrant un menu pour enfant
avec pomme et lait, les enfants identifiaient le fruit comme étant des frites.
Mais plus troublante, cette étude britannique publiée cet été par le Cancer Research UK et effectuée auprès
de 8-12 ans. Plusieurs ont dit que la publicité présentant de la malbouffe
créait une «dépendance», était «tentante» et certains étaient même prêts à
lécher l’écran, rien de moins.
Dans son livre Consuming Kids, devenu un classique, la professeure de Harvard,
Susan Linn, mentionne que les enfants américains sont soumis à plus de 40 000 publicités télévisées par année
dont plusieurs concernent la malbouffe. Le budget destiné à rejoindre cette
clientèle dépasse les 15 milliards $ annuellement. Bien sûr, les parents
peuvent toujours intervenir et dire non. Mais Linn rappelle l’un des effets
pervers de la publicité destinée aux enfants : le nag factor. Ce harcèlement des enfants qui veulent tel ou tel
produit, à l’épicerie ou ailleurs. Un comportement qui peut devenir un réel
problème, chez les familles monoparentales notamment où les parents sentent
parfois le besoin de plaire à l’enfant pour compenser un manque.
Comme professeur de marketing et de
communication marketing, j’insiste fortement auprès des étudiants pour qu’ils
aient un comportement responsable, aligné sur leurs valeurs. Le marketing et la
publicité ont trop souvent mauvaise presse, parfois avec raison, et ce n’est
pas vrai que tous les moyens sont bons pour vendre. Le consommateur doit être
informé, et conscient, de l’impact potentiel de toutes ces techniques qui ont
été développées avec le temps. Harceler les enfants avec de la publicité va
au-delà de mes valeurs. Voilà pourquoi cette proposition des producteurs télé
doit être dénoncée avec vigueur.
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